Monographie agricole de Roquebillière
établie de mars à juin 1948 par MATHIEU Emile

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AGRICULTURE dans la COMMUNE

L’atelier de l’agriculteur :

   Le climat qui réunit beaucoup de caractères méditerranéens s’apparente aussi au climat de montagne.

   Les écarts de température sont sensibles (-8° en hiver, +30° en été). Les hivers, longs de 4 mois (décembre à Mars) sont froids. La neige qui atteint 15 cm aux alentours du village, ne reste que 15 à 20 jours sur le sol. Elle persiste 3 à 4 mois sur les sommets du Siruol et de Férisson, qui dominent la commune à Nord-ouest et au nord. Les gelées s’échelonnent sur 50 jours. La nébulosité est très faible. Les pluies, surtout au printemps et en automne sont violentes mais de courtes durée. Les étés aux journées très chaudes dans ce fond de vallée, ont des nuits fraîches . De petits orages s’abattent régulièrement en fin d’après-midi, pendant une heure environ. Les vents sont essentiellement des courants d’air locaux, d’origine sud-est. En hiver, un vent glacé descend parfois des sommets neigeux .

Sol :

   A part quelques traces d’origine tertiaire dans le sud de la commune, ce sont presque entièrement des terres secondaires qui couvrent le territoire de Roquebillièrois. Sur la rive droite de la Vésubie, le sol très argileux et pauvre en calcaire est difficile à travailler. Et cependant bon nombre de cultures s’y trouvent. C’est que la pente moins forte que sur la rive gauche se prête mieux à l’établissement des terrasses. Les possibilités d’irrigation y sont plus aisées, ainsi que la construction de chemins ruraux. A noter les belles cultures des quartiers du Pontillard, du Niel et des petits plateaux du Plan Gast et du Conigou. A l’ubac des mamelons, c’est le domaine des conifères.

   La rive gauche est à prédominance argilo-calcaire . La terre est humifère donc riche. Légère, elle se laisse travailler facilement. On y rencontre les plus belles cultures : Gordolon – St Julien – La Vigne – Berthemont – Le Coni. Malheureusement les superficies labourables ne sont pas assez importantes. Qu’elles soient de droite ou de gauche, toutes les terres conviennent parfaitement à l’agriculture fruitière (surtout le pommier) et à la production de lait, aidées en cela par un climat bien approprié. Les innombrables propriétés se répartissent en une ou plusieurs terrasses séparées par des murettes en pierres sèches. Aussi trouve-t-on peu de haies vives pour clôtures et à peine quelques barrières en bordure des routes ou chemins. D’ailleurs, serait-il possible à chaque propriétaire de clôturer ses nombreuses possessions éparses ? Car la division est ici extrême et il est difficile d’y remédier par suite de la mauvaise volonté des paysans et de la réelle complexité du problème. Les terres étant plus ou moins riches suivant les quartiers, chacun veut posséder au moins une planche dans tel ou tel lieu réputé par exemple pour la précocité de ses productions ou encore pour des facilités d’arrosage. Bien qu’il en voit tous les avantages, le paysan est par nature hostile au regroupement de propriété.

   La répartition des différents catégories de terres est sensiblement la suivante :

Terres labourables : 154 ha
Prairies de fauches : 258 ha
Pâturages et fauches : 758 ha
Forêts et bois : 948 ha
Vergers : 69 ha
Jardins : 248 ha
Sols bâtis : 8 ha

   ¼ des terres que l’on cultive aujourd’hui ont été gagnées depuis 1940 sur les prairies. Celles-ci sont donc en régression et par contre - coup le cheptel qui comprend 100 têtes de moins qu’en 1939. Les vergers, comme les cultures connaissent un grand développement.

Bâtiments agricoles :

   Outre sa maison du village qui n’a rien à voir avec le travail de la campagne, chaque propriétaire possède dans les différentes campagnes éparses, soit une grange, soit au moins une sorte de cabanon où il est possible de faire du feu : l’alberg.

   Ces constructions sont en pierre du pays ; le bois provient des forêts voisines, le sable de la rivière, le ciment des usines de Contes, le gypse des plâtrières de Lantosque. Les artisans locaux ont effectué les travaux de menuiserie et serrurerie. La tuile mécanique a remplacé l’ardoise.

   Pénétrons dans une maison d’habitation. l’ameublement y est sommaire, juste le strict nécessaire ( la cuisine, 2 chambres, 1 pièce de débarras). Le chauffage se fait au bois (chêne, châtaignier) dans des poêles en fonte qui ont trois pieds. Depuis quelques années les poêles à sciure se sont multipliés. Chargés le matin, ils chauffent jusqu’au soir et sont très économiques en raison du prix peu élevé de la sciure. L’éclairage électrique est assuré par une usine communale. Son prix de revient est modique : 1F le kWh en 1944 ; 3F en 1946 : 5F en 1948 (alors qu’il vaut 14 F à l’électricité de France). Bien que l’eau courante soit dans toutes les maisons, un très petit nombre sont pourvues d’une salle de bains (6 en tout). Un projet d’établissement communal de Bains – douches est à l’étude Dans les maisons de campagne, il existe souvent une pièce où se trouve le lit. On habite là au moment des gros travaux et de la récolte.

   On ne loge pas d’animaux dans le village, mais dans les granges citées précédemment. Ces granges ont une étable et un fenil au-dessus. Les étables sont tout ce qu’il y a de plus primitif : aucun éclairage, faible cubage d’air, hygiène inconnues (pas de sol, ni d’écoulement du purin, le fumier est entassé dans un coin). L’ameublement consiste en un râtelier de bois fixé au mur, avec une mangeoire au-dessous. Dans toute la commune il existe deux étables qu’on peut citer comme modèles. Aucune amélioration n’a été apporté depuis des décades aux logements du bétail.

   Les basses-cours sont également éparses dans les campagnes Ordinairement les volailles sont logées dans une petite pièce attenante à l’étable, quelquefois dans l’étable même. Aucun parcours n’étant prévu, on ne les laisse pas sortir, afin de préserver semis et cultures et aussi pour éviter qu’elles fassent des dégâts chez le voisin. Les lapins sont mélangés avec les poules et l’hygiène ici aussi est inconnue.

   L’outillage peu important (houes, bêches, râteaux, pics) est disséminé dans les différentes granges ou « albergs ».

   Les fumiers ignorent tout de ce que conseillent les manuels d’agriculture. Quand le tas dans un coin de l’étable est trop volumineux, on le transporte dehors, à la pluie et au soleil. Depuis quelques années, on recouvre ces tas de tôles ondulées.

   A part les foins que l’on abrite dans les fenils des granges(les finières) où le bétail les consommera durant l’hiver, les récoltes qui sont d’ailleurs d’importance uniquement familiale, n’ont pas de logement spécial. Elles sont emmagasinées dans une pièce, ou dans le « grenier » de la maison d’habitation, au village.

   Ainsi, un énorme travail d’améliorations serait nécessaire pour les bâtiments agricoles, mais le paysan qui bien souvent d’ailleurs ne pense pas à mieux pour ses bêtes, est peu disposé à engager des fonds qui seraient importants pour réaliser ces améliorations. Il ignore tout de la Loi sur l’habitat rural et c’est ce à quoi il faudrait l’initier en premier lieu. Seulement quelques rares propriétaires ont jusqu’ici profité des avantages de cette Loi, c’est dommage.  

Chemins agricoles :

   Bien tracés et assez bien entretenus, ils représentent un total de 15 km. Ce sont les chemins du : Cros-Giubel, de St Julien, du Plan Gast – Conego, du Mounar. A partir du dernier cité, il est question de relier Roquebillière à Venanson à travers la forêt de la Maluna. L’exploitation des bois de cette forêt s’en ressentirait beaucoup, et partant, les ressources de la commune seraient augmentées.

Canaux d’irrigation :

   La plus petite source, le moindre vallon sont captés et alimentent des canaux propriétés de quelques particuliers voisins. 2 canaux sont beaucoup plus importants et permettent l’arrosage de toutes les terres de la rive droite.

a-     le canal du Caïre : il est long de 14 km pour une section de 50 x 50. Son tracé est sinueux, parfois même en tunnel. En de nombreux points son parcours est cimenté.
b-    
Le canal du Mounar : Moins long que le précédent, il lui est parallèle, mais à une altitude inférieur de 200 mètres.

C’est deux canaux sont régis par des associations syndicales subventionnées.

Outillage et matières premières :

Matériel agricole :

a-     Outillage d’extérieur : il est très sommaire. L’outil le plus utilisé est la houe à 3 ou 4 dents : le « magail » dans le dialecte local, qui sert à tous les gros travaux de labour. Certains propriétaire se servent d’une araire traînée par un mulet.

      La coopérative possède une araire et une herse, mais bien peu de paysan s’en servent.

      Depuis deux années, on compte 2 motoculteurs de 4 et 5 H.P qui sont employés avec succès dans les terres légères de St Julien. Pour battre le blé, on se sert encore de l’antique fléau de bois dur et de la dalle de pierre. On ventile ensuite avec un tarare.

   En 1947, la coopérative a acheté une batteuse actionnée par la poulie d’entraînement d’un tracteur, et c’est cette merveilleuse machine qui de village en village a assuré la campagne du battage dans toute la Vésubie. Les pulvérisations, rares il faut bien le dire, sont faites avec le vermorel ordinaire en cuivre, portatif et à manivelle . Un propriétaire qui veut se spécialiser dans la production fruitière, s’est rendu acquéreur du vermorel monté sur roue, du type ondine.

L’outillage rudimentaire : houes, bêches, pics, tranches, pioches, louchets est acheté lors des foires. L’entretien et les réparations occupent les forgerons - taillandiers du village.

b-     outillage intérieur : Il se résume à pas grand chose. Très rares sont les agriculteurs qui possèdent un petit atelier. Pour tous les travaux d’entretien, de réparation, on fait appel aux artisans locaux. Chaque propriétaire d’au moins une vache possède une baratte à manche, très simple, fabriquée sur place. Avec le moule en écorce de bouleau, pour la fabrication du fromage, c sont là les deux uniques instruments de l’industrie familiale laitière.

c-     Sources d’énergie : Le mulet et l’âne sont à peu près les seuls animaux de trait utilisés. Le cheval qui n’a pas le pied montagnard est ignoré : on ne compte que deux chevaux parmi les 55 équidés. Ces bêtes, lorsqu’elles ne portent pas le bât, sont attelés à des charrettes à 2 roues légères, sur lesquelles on peut charger 5 à 600 kg. Très rarement et d’ailleurs il y a peu d’araires, on se sert du mulet pour aider au labour. Les scieries, les menuiseries, les moulins, utilisent la force motrice de l’eau. Quant aux autres artisans, ils possèdent des moteurs qui consomment le courant électrique de 110 v et 50 périodes que fournit l’usine communale tributaire de la houille.

 

Amendements :

   On ignore tout de leurs avantages et c’est la raison principale pour laquelle on ne les pratique pas. Il est juste d’ajouter qu’ils seraient d’un revient élevé à cause des frais de transport. Cependant on pourrait alléger les terres trop argileuses en leur incorporant des calcaires abondants aux environs de La Bollène.

Les engrais :

a-   fabriqués sur place

Le fumier :

   Il est produit en quantité suffisante, car chaque cultivateur élève 2 ou 3 vaches, une chèvre, un porc, parfois un âne ou un mulet, des lapins. Mais bien souvent la paille peu abondante pour assurer les litières de toute une année, aussi les paysans ramassent-ils avec grand’ soin les feuilles mortes des châtaigniers et les fougères qui poussent nombreuses dans les bois. Il s’en suit que la qualité du fumier n’est pas toujours excellente. D’ailleurs, pourrait-elle l’être puisque aucune fosse, aucun amoncellement tassé et abrité n’est prévu. Dans la plupart des cas, il est entassé dans un coin de l’étable et transporté au dehors lorsque la place fait défaut. L’aménagement de plates-formes et de fosses à purin est presque une utopie dans ce pays où par suite de l’extrême morcellement de la propriété, le bétail est déplacé de ‘campagne’ en ‘campagne’ pour consommer sur place le foin récolté sur la parcelle et y produire le fumier nécessaire aux prochaines cultures. Les énormes frais d’installation des fosses ne seraient pas rentables.

Les composts :

   Ils ne sont pas produits rationnellement. On entasse sans méthode toutes sortes de détritus, lorsqu’on veut faire un compost ce qui est rare, car au nouveau village la place manque et on préfère porter détritus et déchets à la décharge publique, d’où par tamisage quelques initiés tirent un compost très riche.

Les engrais verts :

   Personne n’ignore l’efficacité de cette pratique, et pourtant à l’enfouissement d’une culture de trèfle violet sur un sol argilo calcaire, on préfère la coupe qui donne l’illusion momentanée d’un bénéfice réel qu’on aperçoit mal dans l’enfouissement.

L’engrais humain :

   Apprécié au ‘vieux village’ où on le récupérait dans des barillets (les tinettes), il n’en est  plus question au nouveau village où chaque maison possède son ‘tout à l’égout’.

 

b- Engrais achetés :

   Les engrais d’origine chimique commencent à être utilisés. Le cultivateur se familiarise avec les mots : potassique, nitrate, phosphate, etc. Mais la dépense le fait reculer. Et puis il est sceptique parfois, car, ignorant de la nature de son terrain, c’est un peu au hasard qu’il répand des engrais. Pour pallier à cette fâcheuse méprise, la coopérative vend surtout des engrais complets, mais ce n’est pas un idéal. Il convient de toute urgence d’analyser les terres dans chaque quartier et de dresser des tableaux indiquant les engrais propres à telle ou telle culture dans un certain quartier, et d’afficher ces tableaux dans la salle de vente de la coopérative.

Semences et plants :

   Pour ce qui est des céréales (blé, maïs, avoine et seigle parfois) on conserve chaque année aux fins de semences une partie de la récolte, en sorte que la qualité est toujours la même avec un caractère tout à fait rustique. La culture de la pomme de terre s’est renouvelée depuis la guerre par l’introduction de qualités étrangères. On importe également des tubercules des cultures élevées (de St Dalmas-Val de Blore par exemple) Qui réussissent bien.

Entre propriétaires dans les quartiers différents, il se fait aussi de nombreux échanges des semences. Les plants de tout ce qui se ‘repique’ sont achetés à des pépiniéristes de la côte, au moment des foires.

La sélection, le triage et le nettoyage des semences ne sont pas effectués avec tous les soins nécessaires et c’est là une façon de procéder qu’il convient de corriger, si l’on veut obtenir des semences de premier choix.

5- Aliments du bétail :

   Ils consistent en foins verts ou secs, betteraves, sons, farines spéciales et tourteaux. Les farines et les tourteaux sont achetés par la coopérative. Les autres aliments sont produits sur place. Les années où la production fourragère est déficitaire, on vend en hiver une partie du bétail, car les maigres revenus du cultivateur ne lui permettent pas d’acheter du foin au prix exorbitant où il se vend actuellement. Une pratique locale destinée à lutter contre la pénurie de fourrage, consiste à prêter à un tiers (riche en foin) 2 ou 3 vaches. Ce dernier bénéficie du fumier produit sur son terrain et d’une partie de la production laitière qui a été fixée à l’avance.

6- Produits de lutte contre les parasites et les maladies :

   Depuis longtemps , on emploie le sulfate de cuivre, la chaux et le sulfate de fer, mais pas toujours rationnellement. Par une intensive autant qu’habile propagande, les services agricoles ont fait connaître le Volk nicotiné et les huiles blanches. Aujourd’hui, le nombre de cultivateurs qui utilisent ces produits va croissant et il grandira davantage encore lorsque les sceptiques verront de leurs propres yeux, chez le voisin plus avisé où dans le verger scolaire, les bienfaits des traitements anti-parasitaires et anti-cryptogamiques.

 

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