| Monographie agricole de
      Roquebillière établie de mars à 
      juin 1948 par MATHIEU Emile - 06 Alpes Maritimes - France | 
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        LE
        PERSONNEL. 
        
        Famille
        paysanne : 
        
           
        L’exploitation étant uniquement familiale, le personnel qui
        assure cette exploitation comprend essentiellement la famille paysanne. 
        
        Le
        cultivateur, sa femme et ses enfants lorsqu’ils quittent l’école,
        travaillent leurs terres souvent éparses aux quatre coins de la
        superficie communale. Au moment des gros travaux (labour, fenaison) on
        s’aide réciproquement entre familles parentes ou voisines. 
        
        Lorsque
        l’étendue des parcelles cultivables appartenant à une famille,
        n’est pas suffisante, celle-ci se fait donner des terres en métayage.
        Mais excessivement rares sont les cultivateurs uniquement métayers,
        ainsi que les ouvriers agricoles qui sont journaliers permanents. 
        
        Pendant
        l’époque des gros travaux, la famille paysanne quitte le village et
        s’en va habiter dans un grange sommairement installée, sur le lieu même
        du travail. Levée tôt et couchée tard elle ignore jusqu’au repos
        dominical. Le cultivateur et ses fils n’hésitent pas à passer des
        nuits entières pour arroser leurs cultures, lorsque leur ‘tour
        d’eau’ l’exige. 
        
        En
        hiver la vie est moins active, on se lève tard. Pendant la journée les
        hommes fendent du bois et soignent le bétail. Le soir, on dîne de
        bonne heure et ensuite au cours de la veillée on «’défait’ des maïs
        ou des haricots selon une expression locale. Les longues stations devant
        les comptoirs des nombreux ‘cafés - bars’ sont également très
        prisées de la gent masculine. 
        
           
        Le logement nettement en progrès sur ce qu’il était au
        ‘vieux village’ il y a 25 années est pourtant encore loin de réunir
        tous les facteurs de confort qu’on est en droit d’espérer. Les
        progrès d’embellissement dans l’ameublement comme dans la décoration
        sont très lents. 
        
          
        Par
        contre la modernisation a été plus rapide pour le vêtement. Les
        jeunes s’habillent ‘comme à la ville’ et la coquetterie va très
        loin chez les demoiselles. Mais le vrai paysan chausse toute l’année
        de gros brodequins, porte la chemise de flanelle et le pantalon de
        futaine, en hiver le tricot de laine et la veste. Il couvre son chef
        avec un béret basque ou un vieux feutre. 
        
          
        La
        nourriture du paysan est peu variée, simple et frugale, à base de
        laitages, d’œufs, de pommes de terre, de pâtes de ménage, de
        polenta (farine de maïs).  Les
        plats régionaux  et
        typiquement provençaux ou piémontais sont à l’honneur (raviolis et
        gnocchis). La consommation de la viande se propage seulement depuis la
        guerre. Les repas sont pris à des heures irrégulières selon les nécessités
        du travail : café - au – lait le matin, casse-croûte à 8
        heures, grand déjeuner à midi, dîner de bonne heure le soir, sauf à
        l »époque des gros travaux où on ‘casse la croûte’
        auparavant vers les 17 heures. 
        
          
        Les
        lois de l’hygiène ne sont pas toujours observées. En ce qui concerne
        les soins corporels, l’établissement de ‘bains – douches’
        serait souhaitable. Un projet est d’ailleurs à l’étude. 
        
          
        J’ai
        déjà parlé des distractions à propos du ‘genre de vie’ des
        habitants. J’ajouterai que les ‘cafés’ et la ‘place’ sont les
        deux pôles d’attraction pour les paysans une fois leur tâche achevée. 
        
           
        L’instruction est donnée par une école primaire publique qui
        comprend 5 classes et par un cours complémentaire de 4 classes qui
        conduit ses élèves au Brevet Élémentaire, parfois à l’école
        Normale. 
        
          
        La
        fréquentation devient irrégulière à partir d’avril (départ pour
        les campagnes éloignées du village). Pour remédier à cet état de
        fait, une école est ouverte au hameau de Berthemont d’avril à
        juillet, à partir de cette année-ci (1948). Une fois nantis de leur
        C.E.P. la plupart des fils de paysans quittent l’étude pour laquelle
        ils nourrissent en général peu de curiosité. 
        
           
        La formation professionnelle se fait on peut dire entièrement
        dans la famille. Les jeunes ne fréquentent pas volontiers les cours
        post scolaires à orientation agricole et ils s’intéressent de moins
        en moins aux travaux des champs. Un gros effort est nécessaire dans ce
        domaine. Il faut coûte que coûte amener les jeunes à fréquenter régulièrement
        les cours agricoles, en les réunissant dans un autre local que l’école,
        en multipliant les séances pratiques, en utilisant beaucoup le cinéma,
        et en les y forçant si besoin est par la suppression pure et simple des
        allocations familiales à leurs parents. 
        
           
        Comme le paysan en général, le travailleur de la terre de ce
        pays est taciturne, peu loquace, méfiant, routinier, hostile au progrès
        , têtu, persévérant, travailleur, égoïste, un tantinet frondeur
        mais respectueux tout de même de l’autorité et de ceux qui
        l’exercent. 
        
           
        En conclusion à ce tour d’horizon sur la famille paysanne et
        la vie qu’elle mène, il convient de dire que l’éparpillement de la
        propriété ainsi que son éloignement de la maison d’habitation
        expliquent en partie le caractère pas toujours facile du paysan. 
        
          
        Les
        continuels déplacements auxquels il est astreint, par des sentiers
        accidentés, lassent son corps et étourdissent un peu son esprit. Le
        transport à dos du fumier, des récoltes, du bois, l’arrosage
        difficile, le labourage à la houe lui imposent des efforts bien pénibles
        dont il ne retire pas toujours des satisfactions suffisantes. 
 
        
        Journaliers : 
        
           
        Les journaliers originaires du pays sont peu nombreux (7 ou 8).
        Quelques italiens implantés dans la commune depuis de nombreuses années
        cultivent des terres en métayage.  Au moment des gros travaux, les paysans se rendent réciproquement
        des journées de travail. Ils préfèrent cette façon d’opérer à
        l’embauche de journaliers, car les journées de ces derniers sont
        d’un prix de revient trop élevé. Un ouvrier agricole demande en sus
        de la nourriture (2 repas, 2 casse croûtes) une pièce de 300 à 350
        francs. 
        
          
        
        Artisans
        ruraux : 
        
           
        Le détail en a été donné au chapitre ‘répartition de la
        population’. Ils sont au total 23 artisans qui cultivent également un
        lopin de terre. Leur formation professionnelle, la plupart du temps, ils
        l’ont acquise dans leur famille, ils se succèdent de père en fils. 
        
          
        
        Application
        des lois sociales : 
        
           
        On serait tenté de croire que les paysans ignorent tout des
        avantages que présente la législation sociale en vigueur. C’est faux !
        Ils sont au courant de toutes les primes et autres allocations
        auxquelles ils ont droit, et le secrétaire de mairie est rarement obligé
        de le leur rappeler. 
        
          
        
        Organisation
        professionnelle : 
        
           
        Il n’existe pas d’assurances mutuelles contre l’incendie,
        la grêle, la mortalité du bétail. Cependant, quelques particuliers
        sont assurés contre l’incendie, à des compagnies privées. Dans les
        ‘vacheries’, si une vache vient à mourir, les paysans se cotisent
        et la paient au propriétaire malchanceux. 
        
           
        Une société de  secours – mutuel qui a été fondée voici une
        cinquantaine d’années apporte à ses adhérents, une aide appréciable
        en cas de maladies ou d’accidents. 
        
           
        Sur le plan purement professionnel, les cultivateurs étaient
        groupés avant la libération, en un  ‘syndicat corporatif agricole’
        qui au nom de ses 280 affiliés, s’occupait de l’importation des
        semences, engrais, aliments, etc… 
        
          
        Aujourd’hui (1948), 
        l’union paysanne a remplacé ce syndicat, mais elle ne s’occupe que
        des questions d’ordre moral, relatives à la classe paysanne. 
        
          
        Les
        importations d’aliments pour le bétail, d’engrais, de semences, de
        son, de vin, de vêtements pour les agriculteurs, sont assurées par une
        coopérative dite :  ‘groupement d’achats en commun et
        d’approvisionnement de la vallée de la Vésubie’ qui a son siège
        social à Roquebillière et ses bureaux à Nice où elle paie un
        directeur qui s’occupe des achats, ventes et des questions de trésorerie. 
        
          
        ‘La
        caisse inter cantonale de crédit agricole mutuel’  pour la vallée de
        la Vésubie, a son siège social à Roquebillière. Elle se propose
        d’aider financièrement les entreprises des paysans (aménagement de
        locaux, achat d’outillage) et effectivement elle a déjà rendu des
        services. 
        
          
        ‘La
        société coopérative laitière’ qui groupe environ 150 membres a
        pour objet, le ramassage et la vente du lait à la centrale laitière de
        Nice. Elle est sérieusement concurrencée par une laiterie privée qui
        tout en revendant le lait à la même centrale, s’arrange pour le
        payer un peu plus cher au producteur (arrangement seulement explicable
        par la vente aux particuliers du village que ne pratique par la coopérative
        on sait que le tarif du détail est supérieur à celui de l’expédition
        du lait vers Nice). 
        
           
        Les associations syndicales autorisées, pour l’entretien et le
        bon fonctionnement des canaux, sont au nombre de 7 :  du Caïre, du
        Mounart, du Véséou, de St Julien, de Berthemont, de Vignols, de
        Gordolon. Ces associations groupent tous les propriétaires des
        quartiers intéressés. Les bureaux (on les appelle commissions)
        veillent à l’entretien, à la répartition des heures d’eau, à la
        vente des heures encore disponibles, etc. 
        
          
        En conclusion, on ne peut que regretter le manque d’esprit de
        solidarité des paysans qui sont partagés sur des questions de
        politique locale dont les origines remontent aux conditions dans
        lesquelles a été entreprise la reconstruction du village en 1930.
        C’est à l’école à leur montrer (tout au moins à leurs enfants,
        futurs cultivateurs) les avantages que présente la coopération, seul
        moyen dans ce pays, de vivre honorablement du travail de la terre,
        lorsque le monde sera retourné aux conditions de vie de
        l’avant-guerre. 
 
 
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